Le Caucus

L’impro dans les grandes lignes…

Partez du principe que votre partenaire a un plan

Posted by Yvan_R sur 12 octobre 2012

[eng]

A dialogue I often have with my students about the difference between « creating content » and « discovering the content being created ».

[fra]

– Vous deux, là, levez-vous. Vous allez improviser une scène.

Les deux élèves se lèvent et vont dans l’espace de jeu.

– Euh… M’sieur, j’ai pas d’idées.

– Alors regarde l’autre personnage.

– M’sieur, j’ai pas d’idées non plus.

– Regarde davantage. Ecoute-le davantage.

– Mais – je… Il n’y a rien qui me vient.

– Quand tu regardes le personnage de ton partenaire, qu’est-ce que tu vois?

– Ben… Il a les bras croisés.

– Bien. Et puis?

– Et puis, il a un T-shirt rouge marqué « New York ».

– D’accord, mais ça, c’est le T-shirt de ton partenaire. J’ai envie que tu regardes son personnage.

– Mais… Il n’est pas encore en personnage!

– Faux! Il est déjà en personnage à la seconde même où il entre sur le plateau. Il a croisé les bras, il a soupiré. Il t’a jeté un coup d’oeil, il a regardé ses pieds. Voilà déjà les offres qu’il t’a fait. Des informations théâtrales. Peut-être qu’il n’a pas encore conscience de les faire, mais vous devez partir du principe que tout ce que votre partenaire fait a un sens théâtral.

– Mais… S’il se gratte la tête inconsciemment, ça n’est pas son personnage.

– Peut-être que non. Mais si le public l’a vu, vous devez le voir. Le public va vouloir faire du sens à partir de tout ce que vous lui présentez sur scène. Si vous regardez votre partenaire en coin, le spectateur va projeter une attitude sur vous. Il va se dire « Il attend quelque chose de lui » ou « Il aimerait lui dire quelque chose, mais il n’ose pas. » Si le public commence à se construire ce genre d’histoire, c’est légitime. Si vous partez complètement ailleurs, vous cherchez à fabriquer du théâtre, alors qu’il y a déjà du théâtre qui est en train de se passer. Si vous fabriquez une autre musique que celle que le spectateur entend déjà, vous n’êtes pas en train d’écouter réellement.
Ce que je veux vous dire, c’est que vous devez partir du principe que votre partenaire a déjà fait une proposition, a déjà émis une quantité d’informations qui peuvent être traitées théâtralement. Assume an offer has already been made, c’est ZenProv (entre autres) qui le dit.

– Mais si notre partenaire est réellement immobile? Qu’il ne fait rien de particulier.

– Il y a toujours quelque chose de particulier à remarquer. Et si ce n’est pas chez votre partenaire, c’est sur vous-mêmes. C’est la méthode de Nick Napier quand il dit de « prendre d’abord soin de vous-mêmes ». Vérifiez votre niveau de tension, votre attitude, votre respiration. Il y a bien quelque chose à exploiter.

– Est-ce que ça ne nous conditionne pas dans un rôle d’improvisateurpassif, attentiste?

– Tout d’abord, le contraire serait pire: c’est détestable de voir des improvisateurs actifs ou stakhanoviste, parce qu’ils ne laissent pas le temps aux choses de se décanter d’elles-mêmes. On a l’impression d’assister à un accéléré de théâtre, où tout est pressé. Au niveau de l’écoute organique, c’est souvent un déficit de confiance: votre partenaire n’a pas confiance dans vos capacités théâtrales, donc il fait l’impro pour vous. C’est un climat délétère.
Tandis que si vous faites confiance à ce qui est déjà là, vous adoptez la discipline d’une écoute intime et attentive. Vous vous réjouissez du silence. Et si votre partenaire est dans le même groove, l’improvisation va s’ébaucher comme par génération spontanée; une réelle co-construction sans qu’on en distingue l’auteur. À ce stade, on n’est plus dans la négociation politique, on est carrément dans l’utopie démocratique: je vous rappelle que l’improvisation théâtrale est un système politique où les décisions collectives sont prises à l’unanimité, en temps réel.

– Wow, c’est barré comme théorie.

– C’est une des théories de la création artistique: la fameuse pré-existence de l’oeuvre; l’artiste n’est plus qu’un artisan à l’écoute de son matériau. Johnstone parle de ça avec l’art tribal africain ou l’art esquimau; il y a aussi l’anecdote du sculpteur qui achève un magnifique cheval – un enfant passe et lui dit: « Comment savais-tu qu’il y avait un cheval à l’intérieur du bloc de marbre? ». Il y a tout plein d’artistes qui vous diront qu’ils sont plus des accoucheurs d’idées que de véritables démiurges. On est davantage dans la maïeutique que la création individuelle. Les Romantiques et leur sacralisation de l’Artiste en tant qu’égal de Dieu, ils ont tout foiré. Nous ne sommes que des passeurs d’énergies, des traducteurs de la réalité.
Donc en improvisation théâtrale, c’est encore la même chose: vous devez suffisamment avoir confiance – en vous et en vos partenaires – pour construire pas à pas, respiration après respiration, réplique après réplique, une scène qui soit dans l’instant; donc déjà là.

– C’est quand même vachement paradoxal.

– Oui, parce que je suis en train de vous demander d’improviser quelque chose qui est déjà là: il y a un truc profondément illogique, au niveau de la formulation. Et ensuite, je suis en train de vous demander d’avoir confiance en vous, mais pas trop, parce que le jour où vous aurez confiance en vous, vous n’improviserez plus. Vous serez trop content de faire les « trucs qui marchent ». Vous devrez encore apprendre à vous déséquilibrer vous-mêmes, parce que sinon vous n’improviserez plus.
Le funambule, il passe dix ans à apprendre à marcher sur un fil. Ensuite, il passe dix ans de plus à apprendre à se déséquilibrer de son fil. Sinon, ça n’est pas spectaculaire, parce que ça n’est plus assez dangereux, ça n’est plus assez instable.

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Apprendre à raconter une histoire en apprenant à ne pas tuer une histoire (1) – L’Annulation

Posted by Ian sur 1 septembre 2012

[eng]

Cancelling is a tricky way to kill stories.

[fra]

…ou « Comment développer ses compétences narratives en improvisation théâtrale ».

Dans Impro For Storytellers, Keith Johnstone définit pas moins de 17 façons spécifiques différentes de tuer une histoire :

  • Bloquer (Blocking)
  • Etre négatif (Being negative)
  • Etre peureux (Wimping)
  • Annuler (Cancelling)
  • Imiter (Joining)
  • Bavarder (Gossiping)
  • Activités convenues (Agreed activities)
  • Repousser (Bridging)
  • Eluder (Hedging)
  • Dévier (Sidetracking)
  • Etre original (Being original)
  • Faire une boucle (Looping)
  • Faire des gags (Gagging)
  • Exagérer (Comic exaggeration)
  • Conflit (Conflict)
  • Problème immédiat (Instant trouble)
  • Baisser l’enjeu (Lowering the stakes)

La pédagogie chez Johnstone est souvent une pédagogie par l’absurde. Dès le début de sa carrière d’enseignant (d’abord à l’école, puis dans des cours pour comédiens professionnels), Johnstone s’est essayé à faire l’inverse de ce qu’on enseigne traditionnellement. Ce qui était à l’origine une réaction face au système éducatif Britannique, qu’il voyait comme une gigantesque machine à tuer la créativité, est finalement devenu une véritable méthode.

Ainsi, en plus d’enseigner une méthode d’écriture relativement universelle basée sur les concepts clés de stabilité, de chaos et d’altération – à ce sujet, voir mon article : “Comment faire une scène classique à la Keith Johnstone” – Johnstone enseigne également comment éviter les comportements anti-narratifs. La terminologie décrite ci-dessus est le fruit d’heures et d’heures d’observation de scènes d’improvisation théâtrale en partant du principe que l’improvisateur qui n’est pas entrainé a tendance à toujours minimiser le potentiel narratif d’une scène : il voit cela comme un mécanisme de défense de l’improvisateur. Ces termes décrivent ainsi les principaux moyens auxquels les improvisateurs ont recours pour tuer les histoires et constituent au final une excellente grille d’analyse de scènes et une base solide pour développer des exercices adaptés : en s’entrainant à faire l’inverse de ce qui tue une histoire, on apprend à écrire une histoire !

La diversité des termes fait la richesse du système Johnstonien : là où certains coachs peinent à expliquer et transmettre ce qui fait qu’une scène a marché ou non, ce vocabulaire précis permet de débriefer dans le détail l’aspect narratif de la scène. Certains comportements décrits ici sont même contre-intuitifs et vont à l’encontre de la pensée commune, comme le Conflit qui est vu par beaucoup d’improvisateurs, à tort à mon sens, comme le cœur du mécanisme d’écriture.

Par ailleurs, cette terminologie a été développée dans le contexte de l’improvisation théâtrale, mais peut également être utile aux auteurs, scénaristes, romanciers ou à toute personne qui est confrontée à la rédaction d’un texte un tant soit peu narratif (même un discours politique ou une présentation en entreprise peut être présenté de façon narrative !).

Un caveat cependant : chaque concept, même s’il recoupe une réalité, n’est pas toujours défini de manière tranchée chez Johnstone. Ainsi le Blocking (qui correspond très vaguement au Refus du Match d’Impro) par exemple fait souvent débat. Johnstone a conscience de cette subjectivité et avertit que la capacité à reconnaitre certains comportements anti-narratif prend du temps et qu’il faut une certaine expérience pour les identifier avec précision, et à terme, proposer des corrections ou diriger des exercices liés à cette théorie. Il recommande lorsqu’il y a débat de voter à plusieurs (”Etait-ce un block ?”) et d’engager (rapidement) une discussion.

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Cette introduction passée, je voudrais me consacrer à un comportement spécifique qui est l’Annulation, car récemment, il ressort régulièrement dans les ateliers que j’anime.

L’Annulation est exactement ce que son nom définit : il s’agit d’annuler un élément introduit précédemment. Dans le chapitre Making Things Happen (Faire Qu’il Se Passe Quelque Chose) où Johnstone définit tous ces termes, il réécrit l’histoire du Petit Chaperon Rouge en appliquant les comportements anti-narratifs pour illustrer son propos. Pour l’Annulation, il propose cette variation : “Le petit chaperon rouge voit le loup, s’enfuit et rentre chez elle – rien n’est arrivé.”

L’Annulation semble donc assez simple à identifier. Pourtant, ce qui est facile sur le papier est souvent beaucoup plus difficile à percevoir dans les scènes lorsqu’elle sont jouées car l’Annulation est souvent vue perçue comme une façon comme une autre de créer le chaos dans une scène (ce qui n’est pas faux dans l’absolu). Ainsi, lorsqu’un improvisateur raconte une histoire, s’il suit un tant soit peu un schéma narratif, il aura tendance à introduire une plateforme, c’est à dire une réalité stable relativement détaillée, un contexte. Le problème est que lorsqu’il doit commencer à développer l’action, le réflexe de base est d’aller trop loin et d’annuler purement et simplement un élément introduit précédemment, voire carrément l’ensemble de la réalité établie !

L’action dramatique chez Johnstone, c’est l’affectation et le changement d’un personnage. Ce n’est pas une action au sens d’un mouvement, d’une action physique, d’un changement dans l’univers du personnage ou d’un événement : c’est le fait qu’un effet soit produit sur le personnage qui définit l’action.

D’une part, en réaction à cela, je constate souvent que l’improvisateur va éviter la possibilité même d’un effet sur les personnages par les éléments introduits en ne leur laissant pas le temps d’exister. Un autre exemple donné par Johnstone sur l’Annulation : “On allume un feu et une trombe de pluie vient l’éteindre”. Ici encore, rien ne se “passe”. Pour que l’élément introduit ait une importance, il ne faut pas le faire disparaitre immédiatement, même si l’objectif est d’affecter le personnage. Le fait que le feu s’éteigne peut être un élément narratif important, mais seulement si on lui a donné de l’importance avant !

D’autre part, l’Annulation est souvent le résultat d’une réflexion binaire par l’improvisateur entre existence et non-existence : “pour créer de l’action, je fais disparaitre un élément important qui existe auparavant !”. Pour illustrer cela, prenons un exercice de narration assez simple, le Story Spine de Kenn Adams (qui reprend en fait le schéma narratif traditionnel), qui découpe l’histoire en sous-parties narratives et demande à l’improvisateur de compléter les débuts de phrases :

  • “Il était une fois…” (présentation du protagoniste)
  • “Tous les jours…” (établissent d’une plateforme / stabilité)
  • “Mais un jour…” (introduction du chaos)
  • “Alors…” (conséquence / changement)
  • “Depuis ce jour…” (établissent nouvelle stabilité)

Souvent les improvisateurs utilisent la phase “d’introduction du chaos” pour simplement détruire une partie ou la totalité de la réalité établies. Quelques exemples entendus en atelier :

  • “Il était une fois un homme. Tous les jours, il va à la piscine. Mais un jour, il n’y a plus d’eau.”
  • “Il était une fois un loup. Tous les jours, il hurle à la lune. Mais un jour, la lune disparait.”

L’envie de créer une action et d’affecter le personnage se matérialise ainsi souvent par la destruction pure est simple d’un élément introduit précédemment. Si l’animateur n’est pas vigilant, il va encourager ce genre de comportement car il part souvent d’une bonne intention, celle d’affecter la scène. A lieu d’altérer simplement un élément, on cherche à produire un effet maximal, souvent par peur que notre idée ne soit “pas assez bonne”, en le faisant carrément disparaitre ! Encore une fois, la disparition n’est pas mauvaise en soi, mais lorsqu’elle est le résultat d’un réflexe de destruction de l’histoire par l’improvisateur, elle est rarement pertinente car elle laisse l’improvisateur avec “moins” plutôt que d’apporter quelque chose à la scène. Il est beaucoup plus fécond d’utiliser l’élément introduit comme levier pour affecter le personnage. En réutilisant les exemples précédents :

  • “Il était une fois un homme. Tous les jours, il va à la piscine. Mais un jour, la piscine est devenue une piscine de sang.”
  • “Il était une fois un loup. Tous les jours, il hurle à la lune. Mais un jour, la lune lui répond.”

Dans ces deux exemples, je sens que la fin de l’histoire va être beaucoup plus facile à écrire car a phase “d’introduction du chaos” utilise ce qui a été amené précédemment au lieu de l’Annuler. Dans les deux exemples précédents, l’improvisateur Annule un élément ce qui le laisse seul avec un vide narratif pour continuer à improviser, lui demandant un effort supplémentaire de créativité pour écrire la suite, ne faisant au passage qu’augmenter son stress et donnant encore moins de chance à la scène de réussir…

L’Annulation est trompeuse, méfiez vous ! Bonnes impros.

[NDR : Billet également publié sur mon blog.]

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Improv with an attitude

Posted by Yvan_R sur 29 août 2012

[eng]

There are several approaches to scene initiations: either you begin with a lot of background elements (in your head), or you begin only with what your partner has to offer you.

[fra]

Cet été, on a travaillé pendant une semaine avec cinq improvisateurs chevronnés. Comme ça, gratuitement, un stage de recherche.

Postulat de base: l’improvisation théâtrale contemporaine crée beaucoup de « déchets » dans son jeu (jeu parasite, gags qui créent des impasses, propositions qui ne sont pas approfondies par la suite). On perd le spectateur, on perd de l’énergie, ça fait « brouillon ».

En même temps, on ne voulait pas créer à tout prix de l’impro « propre » qui obéirait à des structures explicites ou implicites (pas à tout prix de game of the scene). On ne voulait surtout pas un nouveau format; on souhaitait explorer des nouvelles approches de l’improvisation, et plus particulièrement pour les débuts de scènes. Méthodologie: bosser l’écoute organique à un point tel que chaque action sur scène aura une résonance et une importance. En fin de billet, la liste des exercices en matière d’écoute.

Constat: il y a deux approches de début d’improvisation (okay, il y en a une infinité, mais je vais parler des deux extrêmes). L’approche « concrète » et l’approche « abstraite ». L’approche « concrète » (ou « chargée »), c’est celle où le comédien arrive sur scène en ayant une « charge », un ensemble d’éléments qui vont nourrir son début d’improvisation. Si vous montez sur scène avec l’idée que vous êtes Napoléon, vous êtes « chargé » d’un ensemble de comportements: peut-être que vous avez la main dans le pan de votre veste, que vous vous imaginez porter un bicorne et que vous avez l’accent corse. Tous ces éléments vous rassurent, vous solidifient, parce que vous pouvez déjà les jouez, en faisant abstraction du reste de ce qui se passe sur scène, et le public va croire à vos actions. C’est l’approche défendue par les formats avec temps de caucus ou délibération.

À l’opposé, on a l’approche « abstraite » qui part du principe que vous arrivez sur scène sans trop de pré-conceptions par rapport à votre état de base: vous arrivez sur scène de manière « neutre », sans faire d’efforts particuliers pour « jouer » un personnage ou une situation. En atelier, on voit bien que le jeu « neutre » est impossible: on projette forcément une certaine attitude sur le personnage. Et c’est d’ailleurs là que réside la fertilité de cette approche : elle part de très peu de choses pour nourrir l’improvisation sur les projections que le partenaire va détailler. Un écueil de cet approche est de donner lieu à des scènes ayant le même rythme ou la même atmosphère: mais il suffit de donner au comédien un (et un seul) ancrage physique ou psychologique pour donner une nouvelle orientation au jeu.

Soyons honnêtes: les deux approches ont leur lot d’avantages (et leur lot d’inconvénients, aussi); ce que je voulais définir, c’est cette approche « abstraite » à partir de laquelle nous avons travaillé en stage.

Les premières scènes que nous avons jouées avec l’approche « abstraite » se sont révélé confuses: les comédiens n’osaient pas poser d’informations précises. Alors nous avons mis un comédien sur le côté de scène, qui « précisait » les informations si les personnages se révélaient trop vagues. Mais ça n’a pas amélioré la qualité des scènes (ça donnait juste des scènes très contextualisées, riches au niveau du background, mais pauvres au niveau du drame).

Nous avons ensuite essayé de commander du conflit dans la scène: un comédien en marge criait « conflit! » pour que la scène bascule sur des éléments conflictuels. Ça n’était pas très satisfaisant: on assistait à des scènes mécaniques, ou des personnages volontaristes feignaient leurs émotions.

Puis nous avons redécouverts le travail d’attitude.

À ce stade, je dois re-préciser que nous commencions des scènes à deux personnages, sans coaching et sans suggestion ou éléments de base. Le travail d’attitude est venu révéler des évidences que nous connaissions déjà en théorie, mais il nous manquait des outils pratiques pour la travailler et l’approcher « en direct ».

L’élément-clé est le suivant: en arrivant sur scène, peu importe qui tu es et ce que tu fais, imagine que le partenaire a une attitude envers toi. Formule-la de cette manière: « Je suis intimement persuadé que mon partenaire veut me… » et complète la phrase avec verbe fort (tuer, séduire, violer, voler, détester, mentir, etc.).

Effets: la scène est intéressante à regarder dès le début, parce que la relation entre les personnages (et une certaine tension) existe dès la première seconde. La scène se « construit toute seule » parce que les comédiens suivent les intentions de leur personnage. Les comédiens n’intellectualisent que très peu, parce que la scène a l’air d’avoir commencé depuis un moment déjà, et qu’il y a donc un mystère, une urgence à résoudre. Il faut bien sûr éviter de réduire la scène à la résolution des tensions (p. ex. si l’attitude de base est la séduction, il faut éviter une scène qui parle de séduction (« au speed-dating » ou « au café »…); c’est plus intéressant de voir une scène chez le boulanger qui traite de séduction).

D’autre part, le comédien reste totalement à l’écoute dès la première seconde, puisqu’il tente de déceler chez son partenaire des comportements-témoins de l’attitude qu’il lui porte.

Ce travail d’attitude est à rapprocher des outils de Fast-food Stanislavski (chez Johnstone) ou chez l’attitude du VAPAPO (chez Bernard) ou dans plusieurs exercices de « coaching croisé » ou l’on impute au partenaire une certaine attitude.

Prolongements: nous avons ensuite testé (avec succès, mais pour des comédiens avancés) de partir sur des impulsions d’attitude au carré: « Je suis persuadé que mon partenaire veut me [séduire], et ça me rend [triste]« . Il faut donc projeter une attitude sur le partenaire, et savoir comment notre personnage se positionne par rapport à ça.

Je le répète: toutes les approches de début d’impro sont bonnes, mais nous insistons sur l’efficacité de l’approche « abstraite » nourrie par une attitude projetée: (1) elle est essentiellement tournée vers l’écoute du partenaire (2) elle nourrit le personnage du partenaire et par effet d’écho, son propre personnage (3) elle stimule la créativité pour la construction de la scène, qui est dès lors centrée avant tout sur la relation.

Appendice: liste d’exercices d’écoute organique

– Faire les choses en même temps
Soit 4 comédiens ABCD sur un même rang, assis sur une chaise face public. L’objectif est d’effectuer chaque action en même temps, sans qu’un observateur puisse distinguer le meneur d’exercice. Il n’y a pas de meneur. C’est le groupe qui décide. La séquence d’action est la suivante: tous se lèvent. Tous se déplacent de manière à être maintenant dans l’ordre BCDA (c’est à dire que le comédien A doit passer derrière les autres comédiens et se mettre en bout de file; les autres se décalent d’une chaise). Puis tous se rassoient. Répéter la séquence.

– Le cercle organique
Les comédiens en cercle, regardant le centre du cercle. Ils doivent sauter tous en même temps. Ensuite, les comédiens se tournent d’un quart de tour vers la droite. Même exercice (mais cette fois, ils ont une vue très partielle du groupe de comédiens). Ensuite, ils font face à l’extérieur du cercle. Même exercice (cette fois, ils ne peuvent qu’entendre leurs compagnons).

– Tai Chi circulaire
Les comédiens en cercle, regardant le centre du cercle. Un comédien propose un geste (avec un début et une fin) qui est simultanément suivi par les autres comédiens. Ensuite, le comédien à la droite du premier propose un deuxième geste, simultanément suivi par les autres. Et ainsi de suite. Une fois que l’exercice est maîtrisé, on peut fluidifier l’enchaînement des gestes: la fin du geste de A devient le début du geste de B, et ainsi de suite. Parfois, on ne sait plus qui dirige, mais si le groupe continue à bouger ensemble, l’exercice est réussi.

– Circulation du focus par le regard
Les comédiens en cercle, regardant le centre du cercle au sol. Un comédien (A) lève la main pour signaler qu’il commence l’exercice. Tous les comédiens le regardent. Dès qu’il sent qu’il a tous les regards sur lui, A marque une respiration, puis il regarde un autre comédien (X); tous les comédiens regardent X; celui-ci marque une respiration, puis regarde un autre comédien (Y), et ainsi de suite. Bien séquencer les choses (avec une respiration visible) permet de ne pas se perdre dans l’exercice. Il faut regarder avec l’axe du visage (pas en coin), pour donner une direction claire aux autres comédiens.

Pour tous ces exercices: ne pas avoir peur d’aller trop lentement.

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