Le Caucus

L’impro dans les grandes lignes…

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Mort au premier acte

Posted by Yvan_R sur 14 septembre 2009

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Scenes initiations shouldn’t rush through the exposition, since this phase helps audience to « get into » the fiction. Alternatively, it shouldn’t be so long as to bore the spectator. Hence, improvisers learn to balance these two tendencies, in order to delay the chaos of the real action.

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J’étais récemment invité à donner un cours unique à une équipe amateur de Suisse Romande. J’ai remarqué que ce type d’expérience était toujours profitable – pour les deux parties – puisque l’équipe découvre une nouvelle approche de l’improvisation, de nouveaux exercices, et que l’entraîneur peut éprouver sa méthode à de nouvelles personnalités. Les improvisateurs ont également la chance de redémarrer à zéro, puisque l’entraîneur d’un soir adopte un regard neuf à leur égard. Les niveaux disparaissent, les préjugés passent à la trappe, et les projections maître-élève se métamorphosent. Tout le monde à donc à y gagner.Big Bang

Du coup, j’ai pu mettre le doigt sur certains « tics » d’équipe, que l’entraîneur habituel ne remarque peut-être même plus. En l’occurence, après quelques impros, j’ai noté que les improvisateurs tombaient souvent dans le syndrome du chaos instantané. L’expression est de Johnstone, et elle largement reprise sous d’autres appellations par Diggles ou Salinsky-White: c’est le fait de faire entrer trop subitement l’action dans la scène, avant que le spectateur ait eu droit à une exposition convenable. C’est lorsque, après trois répliques, on a déjà un savant fou sur un bateau-pirate, un chien qui bouche les toilettes, et un cadavre de belle-mère sur les bras.

Plus largement, je constate que la plupart de mes équipes sont sujettes à ce syndrome. Keith Johnstone nous avait dit en stage: « L’improvisation théâtrale actuelle, telle qu’elle est pratiquée, peut se résumera à ça: something… something… something… – nothing! Vous, ce que vous voulez avoir comme théâtre, c’est quelque chose du type: nothing… nothing… nothing… – something! » Pour Johnstone, une esthétique cohérente de l’improvisation, c’est une esthétique épurée, où l’écriture de la scène est réduite à son strict minimum, et où les personnages osent accumuler une tension dramatique pour la libérer plus tard, d’un seul coup. Dans d’autres ouvrages, on trouve aussi cette idée que le chaos de la scène, sa phase active, doit être retardée jusqu’au moment le plus opportun.

Si Hamlet tuait son oncle au premier acte, Shakespeare n’aurait rien à raconter.

Et de fait, cette « loi » découle tout simplement d’un code théâtral fort: la contrainte d’exposition. Le spectateur doit pouvoir comprendre le contexte de la scène, le lieu représenté, les personnages qui la composent et le sujet de l’action – tout cela! – pour pouvoir entrer dans la fiction théâtrale. De la même manière, quand vous commencez un roman, vous souhaitez une description suffisamment complète des lieux, des personnages et du contexte général, avant de pouvoir apprécier l’intrigue proprement dite.

Cependant, cette exposition doit être la plus courte possible, pour ne pas décourager le lecteur (miam, les 200 premières pages du Seigneur des Anneaux!) ou pour ne pas lasser le spectateur. On préfère donc commencer au plus proche moment avant l’intrigue (in medias res). Mais la plupart des improvisateurs confondent ces deux priorités (qui agissent de manière contradictoire sur le temps de la représentation):  l’exposition doit prendre le moins de temps possible, mais elle doit être exhaustive, pour installer confortablement le spectateur dans la fiction théâtrale. De fait, les débutants veulent souvent tout faire en même temps, sacrifiant la minute de l’exposition pour tout miser sur l’intrigue; tout se passe comme s’ils fuyaient le retard de jeu.

Et ce n’est pas tant leur faute que celle de l’entraîneur: les « règles » d’impro nous poussent à ne pas nous saluer en début d’impro, ou à entrer dans l’action aussi vite que possible, sans faire du bla-bla… On confond alors facilement deux choses: si les personnages doivent effectivement donner l’illusion qu’ils se connaissent depuis un bon moment, cela ne les dispense pas de les présenter au public (qui lui, ne les connaît pas).

Tout se passe comme si les dogmes de l’improvisation s’étaient forgés très à l’écart des codes théâtraux; comme si l’improvisation théâtrale était un art miraculeusement affranchi des contraintes de représentation. En tant qu’entraîneur, parlez-vous suffisamment du 4ème mur, des trois unités, du schéma actantiel? En tant qu’improvisateur, allez-vous suffisamment au théâtre?

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Le système SPECT

Posted by Yvan_R sur 6 octobre 2008

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Which way do you plan your improv courses throughout the year? How do you tell your students what you focus on? Why do I always ask questions in my English summaries?

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La grande panique, en tant qu’enseignant d’improvisation théâtrale, c’est de se demander dans quel ordre on va aborder les choses avec les élèves débutants. J’ai lu un article très intéressant sur un blog (encore secret) qui opposait l’approche inductive (Outside In – on commence par apprendre les règles) et l’approche déductive (Inside Out – on fait d’abord, pour réfléchir sur les principes ensuite). Le billet dégageait des avantages dans le cumul des deux méthodes.

Dans la littérature, on trouve peu de syllabus explicitement ordonnés comme un cours. Dan Diggles est peut-être le plus structuré, à côté de Christophe Tournier et Bill Lynn. Mais trop souvent, les exercices et les principes s’enchevêtrent dans un amas illisible, peu facilement transférable tout cru dans l’estomac de nos élèves.

Entendons-nous: je reste un fervent partisan de l’absence de syllabus; oui, je prépare mes entraînements, mais je ménage toujours une demi-heure « clinique » où je vais pouvoir rebondir sur les problèmes de mes élèves à ce moment-là de leur cheminement. Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est de pouvoir leur dire on en est dans le « programme »; sur quoi est-ce que l’on travaille en ce moment.

Il y a plusieurs années, j’avais tenté de réduire les aspects de l’impro au nombre le plus modeste possible; j’étais fou, je me prenais pour Mendeleïev et j’avais réussi à « isoler » ce que sont pour moi les cinq aspects primordiaux et indépendants de la didactique en improvisation théâtrale:

Spontanéité

C’est tout le travail sur l’imaginaire, la faculté d’imagination, le rolodexing, le motormouth, la vivacité d’esprit et les exercices parfois obscurs qu’on pratique en début d’entraînement. C’est la part de créateur/créatif qu’il y a en nous.

Personnage

C’est le travail de la voix, de la posture, des attitudes physiques ou des comportements; les statuts, les superobjectifs, les émotions font partie de cet aspect. C’est la part de comédien qu’il y a en nous.

Écoute

C’est le travail tourné vers le partenaire: enregistrer les informations, comprendre les présupposés, se laisser altérer par l’Autre, saisir le texte, le sous-texte et le contexte. C’est la part de musicien/harmoniste qu’il y a en nous.

Construction

C’est la maîtrise des schémas narratifs, l’art de raconter des histoires: le schéma quinaire, le recyclage (recall – recorporation), les archétypes, les tilts, l’advancing, les phénomènes de blocage, de passagers. C’est la part d’écrivain qu’il y a en nous.

Techniques

C’est à peu près tout le reste: les catégories d’impro, les petits talents qui ajoutent de la plus-value à nos impros: doublage, one-voice, mime, chant, etc. C’est la part d’ingénieur, de metteur en scène et de saltimbanque qui sommeille en nous.

Après une mise à l’épreuve de deux ans, j’ai trouvé ce système satisfaisant: ça ne révolutionne pas mon enseignement, mais ça donne au moins à mes élèves un point de repères par rapport à leurs faiblesses et au sujet du cours. Plutôt que de se fouetter au sang en se décrivant comme faibles improvisateurs, ils peuvent au moins se dire qu’ils sont faibles en technique mais bons en construction. Et ça fait plaisir.

Et puis aussi, ça me permet de leur dessiner un pentacle (une étoile à cinq branches) avec les premières lettres des aspects tout autour, ça fait SPECT, c’est le début de « spectacle », la fin de « aspect » et le milieu de « respectable » (je m’amuse de certains plaisirs simples).

Je suis conscient que ce billet est peut-être un petit peu fourre-tout, avec tout ce jargon théorique et méchamment anglophone: je m’engage solenellement à expliquer un peu mieux chaque aspect que vous demanderez dans la page « Notions » (oui, je ferai des liens). N’hésitez donc pas me laisser des messages rageurs et anonymes de haine mal contenue en commentaire.

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Enseigner l’impro, un peu au bol

Posted by Yvan_R sur 8 avril 2008

Ce qui peut être enseigné ne vaut pas la peine d’être appris (proverbe chinois)
What can be taught isn’t worth learning (Chinese saying)

[eng]

Keith Johnstone explained he wasn’t so sure about how to teach improv efficiently. Finpoil thinks this comes from the complex nature of the art itself, rather than a lack of expertise from the teacher. This is why an improviser should have an opinion on improv’s theories.

[fra]

Lors d’une conférence le 6 octobre à Paris, Keith Johnstone proposait de conclure son intervention avec une dernière question. Un jeune fan s’est levé respectueusement, et lui a demandé avec humilité :

– Monsieur Johnstone, vous avez écrit deux bouquins, vous avez géré une compagnie d’impro pendant de nombreuses années, vous avez inventé une demi-douzaine de concepts ; comment faites-vous pour ne pas être lassé de l’impro ?
– Eh bien, c’est tout simple : après toutes ces années, force est de constater que je ne sais toujours pas comment enseigner l’impro. Si j’avais découvert une méthode, alors je m’en serais lassé.

Le Maestro se retirait donc sur une pirouette magistrale, relevant le caractère impossible d’une didactique de l’improvisation. Après huit ans d’enseignement avec différents groupes (adultes, adolescents, enfants), je commence à croire qu’il avait malheureusement raison : l’impro ne s’enseigne pas. Mais ce n’est pas une raison pour s’acheter une corde et un tabouret ; il y a bien quelque chose à faire.

Aaahh, si c\'était si simple
D’abord, la plupart des troupes d’impro s’entraînent, c’est un fait. Nous travaillons tous avec plus ou moins de succès, tournant sur une banque d’exercices qui dépend de notre bagage d’animateur, en tentant d’explorer des zones et des règles établies. Mais combien de joueurs parmi nous qui stagnent ? Arrivés à un certain point, on tourne en boucle sur trois ou quatre personnages, sur des tics narratifs prémâchés, la faute à une réflexion lacunaire sur la philosophie de l’impro : la crise de l’improvisateur, c’est qu’il lui manque un syllabus, des paliers de progression.

Gravel et Diggles (voir bibliographie) ont peut-être été les seuls jusqu’ici à proposer une logique de l’enseignement de l’impro : Gravel partait du principe qu’il fallait déjà maîtriser une improvisation solo avant de se lancer dans une construction de scène avec un partenaire. Diggles procède plutôt par thématiques, reprenant pour la plupart des concepts de Johnstone pour les organiser par difficulté croissante. Enfin, certains manuels (Tournier, Lynn), proposent une progression par « règles » … avec les risques dogmatiques que cela comporte.

Le problème avec la technique de l’improvisation théâtrale, c’est que les bons mécanismes sont encore relativement mal compris, ou alors sont trop complexes pour être hiérarchisés et enseignés par des exercices : l’élève est mis devant l’énorme défi de relier par lui-même les bribes de sagesse contenus dans une pelote embrouillées d’exercices hétéroclites. Dans le meilleur des cas, l’élève-improvisateur peut alors réfléchir tout seul sur sa pratique, pour peaufiner sa formation de manière autonome. À cet effet, il lui faut des outils d’analyse et de compréhension.

C’est aussi un peu à ça que va servir ce blog : organiser le savoir complexe sur l’impro, de manière à pouvoir renouveler la didactique (exercices, réflexions) du théâtre d’improvisation. En décortiquant les théories de l’impro, nous pourrons peut-être commencer à voir comment organiser un enseignement efficace, pragmatique et écologique.

Alors oui, j’en suis convaincu : l’improvisation ne s’enseigne pas, mais elle s’apprend.

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