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Scenes initiations shouldn’t rush through the exposition, since this phase helps audience to « get into » the fiction. Alternatively, it shouldn’t be so long as to bore the spectator. Hence, improvisers learn to balance these two tendencies, in order to delay the chaos of the real action.
[fra]
J’étais récemment invité à donner un cours unique à une équipe amateur de Suisse Romande. J’ai remarqué que ce type d’expérience était toujours profitable – pour les deux parties – puisque l’équipe découvre une nouvelle approche de l’improvisation, de nouveaux exercices, et que l’entraîneur peut éprouver sa méthode à de nouvelles personnalités. Les improvisateurs ont également la chance de redémarrer à zéro, puisque l’entraîneur d’un soir adopte un regard neuf à leur égard. Les niveaux disparaissent, les préjugés passent à la trappe, et les projections maître-élève se métamorphosent. Tout le monde à donc à y gagner.
Du coup, j’ai pu mettre le doigt sur certains « tics » d’équipe, que l’entraîneur habituel ne remarque peut-être même plus. En l’occurence, après quelques impros, j’ai noté que les improvisateurs tombaient souvent dans le syndrome du chaos instantané. L’expression est de Johnstone, et elle largement reprise sous d’autres appellations par Diggles ou Salinsky-White: c’est le fait de faire entrer trop subitement l’action dans la scène, avant que le spectateur ait eu droit à une exposition convenable. C’est lorsque, après trois répliques, on a déjà un savant fou sur un bateau-pirate, un chien qui bouche les toilettes, et un cadavre de belle-mère sur les bras.
Plus largement, je constate que la plupart de mes équipes sont sujettes à ce syndrome. Keith Johnstone nous avait dit en stage: « L’improvisation théâtrale actuelle, telle qu’elle est pratiquée, peut se résumera à ça: something… something… something… – nothing! Vous, ce que vous voulez avoir comme théâtre, c’est quelque chose du type: nothing… nothing… nothing… – something! » Pour Johnstone, une esthétique cohérente de l’improvisation, c’est une esthétique épurée, où l’écriture de la scène est réduite à son strict minimum, et où les personnages osent accumuler une tension dramatique pour la libérer plus tard, d’un seul coup. Dans d’autres ouvrages, on trouve aussi cette idée que le chaos de la scène, sa phase active, doit être retardée jusqu’au moment le plus opportun.
Si Hamlet tuait son oncle au premier acte, Shakespeare n’aurait rien à raconter.
Et de fait, cette « loi » découle tout simplement d’un code théâtral fort: la contrainte d’exposition. Le spectateur doit pouvoir comprendre le contexte de la scène, le lieu représenté, les personnages qui la composent et le sujet de l’action – tout cela! – pour pouvoir entrer dans la fiction théâtrale. De la même manière, quand vous commencez un roman, vous souhaitez une description suffisamment complète des lieux, des personnages et du contexte général, avant de pouvoir apprécier l’intrigue proprement dite.
Cependant, cette exposition doit être la plus courte possible, pour ne pas décourager le lecteur (miam, les 200 premières pages du Seigneur des Anneaux!) ou pour ne pas lasser le spectateur. On préfère donc commencer au plus proche moment avant l’intrigue (in medias res). Mais la plupart des improvisateurs confondent ces deux priorités (qui agissent de manière contradictoire sur le temps de la représentation): l’exposition doit prendre le moins de temps possible, mais elle doit être exhaustive, pour installer confortablement le spectateur dans la fiction théâtrale. De fait, les débutants veulent souvent tout faire en même temps, sacrifiant la minute de l’exposition pour tout miser sur l’intrigue; tout se passe comme s’ils fuyaient le retard de jeu.
Et ce n’est pas tant leur faute que celle de l’entraîneur: les « règles » d’impro nous poussent à ne pas nous saluer en début d’impro, ou à entrer dans l’action aussi vite que possible, sans faire du bla-bla… On confond alors facilement deux choses: si les personnages doivent effectivement donner l’illusion qu’ils se connaissent depuis un bon moment, cela ne les dispense pas de les présenter au public (qui lui, ne les connaît pas).
Tout se passe comme si les dogmes de l’improvisation s’étaient forgés très à l’écart des codes théâtraux; comme si l’improvisation théâtrale était un art miraculeusement affranchi des contraintes de représentation. En tant qu’entraîneur, parlez-vous suffisamment du 4ème mur, des trois unités, du schéma actantiel? En tant qu’improvisateur, allez-vous suffisamment au théâtre?