Le Caucus

L’impro dans les grandes lignes…

Jouer avec les règles…

Posted by Ian sur 28 septembre 2008

[eng]

Mischief is a darn good way to make your show better! Especially on competitive formats. Let’s play with the rules!

[fra]

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas fan du match d’impro. Cependant, voici une scène que j’aime beaucoup tirée du match France – Québec à l’occasion du festival Juste Pour Rire 2007.

C’est une mixte, trois minutes, sur proposition du public: « L’affaire Ponton » (Yvan Ponton étant l’arbitre star de la LNI et l’arbitre de ce match), catégorie « A la manière d’un procès ». J’adore cette improvisation car elle permet aux joueurs de jouer avec les règles et les codes du match. Le procès leur permet d’inverser les rôles et dans une sorte de mise en abyme (j’adore cette expression) de manipuler à leur guise le vocabulaire et les gestes normalement propres à l’arbitre. Richard Perret joue avec l’arbitre lui-même en le dévisageant et en se plaçant juste à côté de lui et va même jusqu’à lui prendre son chronomètre et son sifflet. C’est assez jouissif, comme on peut le voir sur les visages du public en arrière plan…

Ce genre de comportement, pour moi, rentre dans ce qu’on peut appeler le « mischief » (en français: espièglerie), un concept fortement mis en valeur dans les théories de Keith Johnstone. En gros, il s’agit de se comporter comme un enfant mal élevé, qui ne respecte pas les règles, qu’on a envie de réprimander, mais dont le sourire au lèvres fait qu’il reste malgré tout adorable. C’est une attitude que le joueur Richard Perret a souvent lorsqu’il monte sur scène, et qui fait de lui un des joueurs les plus appréciés du public (en tout cas, c’était le cas à chaque fois que je l’ai vu sur scène).

Le « mischief » fonctionne mieux sur des formats compétitifs, parce qu’on y trouve des notions d’autorité et de compétition, dont on peut justement se servir pour redynamser le spectacle. Le « mischief » renforce le « heat » (en français: chaleur) d’un spectacle.

Le « heat » est un concept cher à (devinez…) Keith Johnstone qui pour développer le TheaterSports, s’est beaucoup inspiré du catch. Il se demandait pourquoi les catcheurs se tournaient toujours vers le public pour montrer leur douleur. Il avait aussi remarqué que les mamies qui criaient et agitaient leurs sacs prêt du ring (à l’époque en Angleterre) étaient payées pour ça et que les photographes utilisaient d’énormes flashs mais pas de pellicule. En gros, tout était fait pour rendre le spectacle plus « chaud », plus intéressant à regarder.

Pour moi, le « heat » en impro, c’est tout ce qu’on fait en dehors des scènes (et parfois dans les scènes) pour améliorer le spectacle. Et le « mischief » contribue au « heat ».

Le TheaterSports, qui est un format très libre, permet de beaucoup jouer la dessus. Le Match d’Improvisation Théâtrale, beaucoup plus rigide, le permet moins. Je pense que les interactions avec l’arbitre (lors d’explications de fautes par exemple) peuvent être utilisées pour faire monter la tension. Le danger est que les explications deviennent fastidieuses et handicappent le spectacle. Trop de « mischief » tue le « mischief ».

Un autre point à garder à l’esprit si l’on veut que le « mischief » fonctionne est qu’il faut absolument que cela reste « bon efant » ou « good natured » comme dirait Keith Johnstone. Si l’on se prend au sérieux, cela n’aura pour effet que d’énerver tout le monde: les joueurs et le public.

Les Québécois sont des experts du « mischief »: ils se comportent souvent en spectacle comme de petits enfants joyeux. Je me rappelle d’un match LIQ – LIP où l’arbitre (LIP) après une mixte « A la manière d’un conte » avait passé plusieurs minutes à faire la morale aux deux équipes et au public sur ce qu’est un conte et ses 31 fonctions narratives… En signe de défi, les joueurs de la LIQ étaient montés sur scène sur l’improvisation suivante (une comparée) et avaient fait… un autre conte! Le public a adoré ce pied de nez.

Je me rappelle d’un Micetro que j’avais co-dirigé à Toulouse au cours duquel un joueur avait été éliminé (injustement?). Il a passé la soirée à essayer de remonter sur TOUTES les autres scènes et à chaque fois le public EXULTAIT de joie.

Dans la video ci-dessus, on donne en quelque sorte « la permission » aux joueurs de jouer avec les règles du match d’impro, pour le plus grand plaisir du public. Quand je vois des Québécois jouer, lors de matchs en France, je suis toujours frappé par leur énergie, leur bonne humeur, et leur capacité à ne considérer tout ça que pour ce que c’est: un jeu. C’est ce qui les rend si charmants. Faisons comme eux: jouons! Même si, et surtout si, on doit remettre les règles en cause…

4 Réponses to “Jouer avec les règles…”

  1. finpoil said

    Dans la série des grands mischiefs dans des Matches d’impro: c’était à l’époque du Morning Live de Michaël Youn, en 99 ou en 2000; Le MC du lieu s’était muni d’une vraie sirène et d’un porte-voix pour annoncer les fins de tiers-temps. Pendant une comparée ayant pour thème « manifestation », un joueur rouge (Alain B.) s’est discrètement approché de la table du staff, s’est emparé du porte-voix et de la sirène: soudain, il a interrompu l’impro en cours en courant dans tous les sens, criant « Morning Liiiiive! », sautant dans le public, enlevant quelques habits et récoltant des ovations extatiques de la part d’un public ravi.
    L’arbitre et le MC, complètement déstabilisés, n’ont même pas osé lui siffler les nombreuses fautes qu’il méritait (rudesse, mauvaise conduite, procédure illégale, cliché, entre autres fautes majorées…), et tout le monde se souvient de cette impro tout simplement scandaleuse et pourtant dans le thème.
    J’estime donc que le format Match permet autant que le Theatersport – et de fort belle manière – de jouer avec les règles et les conventions du décorum: j’irai même jusqu’à dire que la rigidité du format en fait une cible de choix. Je mets davantage la faute sur les joueurs, beaucoup trop sages…

  2. […] Le mischief a besoin d’une autorité à défier. Le mischief a besoin d’un enjeu et de partenaires. Le mischief ne peut exister par lui-même. Le mischief est une respiration dans le spectacle. Le mischief rend le reste du spectacle (les échanges de balles au tennis, les scènes en spectacle d’improvisation théâtrale) plus intéressant. […]

  3. […] Le mischief a besoin d’une autorité à défier. Le mischief a besoin d’un enjeu et de partenaires. Le mischief ne peut exister par lui-même. Le mischief est une respiration dans le spectacle. Le mischief rend le reste du spectacle (les échanges de balles au tennis, les scènes en spectacle d’improvisation théâtrale) plus intéressant. […]

  4. […] Keith Johnstone a développé le concept de « mischief », qu’il estime indispensable pour assurer le succès des spectacles qui reposent sur un décorum à contraintes, comme le match, le theatresport ou le maestro. Le « mischief », c’est l’art d’être espiègle et taquin, de jouer avec les règles et les contraintes, de s’amuser à briser les interdits posés par l’autorité. Johnstone autorise et même encourage les comédien-ne.s à jouer avec l’autorité, pour atteindre le but premier du spectacle d’impro, qui est, je le rappelle, de s’amuser ensemble. Il s’agit donc « de se comporter comme un enfant mal élevé, qui ne respecte pas les règles, qu’on a envie de réprimander, mais dont le sourire aux lèvres fait qu’il reste malgré tout adorable » (j’emprunte cette synthèse à Ian Parizot dans un de ses anciens articles écrits pour le blog Le Caucus).  […]

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